Vous voilà enfin réunis pour la vie ! Le mariage, ce moment unique de célébration de votre amour, est enfin là !
Ce sera le bonheur absolu entre toi et ton mari, c’est sûr, et après cela, tu te feras enfin une bonne place dans la société sénégalaise qui idéalise le mariage.
Kou amoul dieukeur boko (Oust les célibataires)…
Enfin, c’est ce que tu te disais avant de recevoir des gifles de cette société qui classe dans les choses anormales le fait d’être mariée et de ne pas avoir d’enfants. Cette société incrimine la femme quand un couple n’a pas encore ou ne peut pas avoir d’enfants.
1ère gifle : Le jour de ton entrée dans ta nouvelle maison (Jourou seuyi bi)
Te voilà enfin dans ta nouvelle demeure, accompagnée par tes tantes, les badiènes (sœurs de ton père), les sœurs et les amies. Au moment du discours de ta belle-famille qui t’accueille, le sujet ne se fait pas attendre et est annoncé haut et fort : « Yalla na nga fi diour ay doom you Barkel (Puisse Dieu te donner de bons enfants) ». Euhh, oui, mais laissez-nous d’abord rentrer dans notre chambre et faire ce que nous avons à faire, d’accord. La couleur est déjà annoncée, tomber enceinte fait désormais partie de tes devoirs dans la maison.
2e gifle : Khady, la woudj pédiorgo (La femme du frère de ton mari) a accouché d’un garçon
« Ay waay Khady andil nama seut waaye (Oh Khady m’a donné un petit-fils) », dit ta belle-mère. Oui, mis à part le fait qu’on te compare dans tes faits et gestes quotidiens avec Khady, voilà maintenant qu’elle a eu un bébé avant toi. Le soir du baptême, tu n’échapperas pas à son yébi insolent (cadeaux pour la belle-famille) et aux remarques indiscrètes de Badiène Seynabou, la tante de ton mari : « Loy Khar Nak (Alors c’est pour quand) ? » « Ah Gawal andil niou chéri wala woudj ndakh niou langal la comme beuss bi (Ah dépêche-toi de nous amener un petit fils ou une petite fille pour avoir la même cérémonie). Décidément, tu n’as pas de moment de répit.
3e gifle : Même en dehors de la famille, les gens s’impatientent
Il y a tes amis, tes voisins et ah oui, LES INCONNUS. Tu sais, la maman de la petite fille rencontrée au supermarché et qui se tordait dans tous les sens pour que tu la prennes dans tes bras : « Sama doom bi dafa beug niit (Ma fille est très attachante). Vous avez des enfants vous ?
Non. – « Ah Loy Khar (Qu’est-ce que vous attendez) ? Faites vos enfants tout de suite comme ça vous vous reposerez après. » Pardon, on lui pose des questions à elle ? Comme s’il était écrit sur ton front « Conception Bébé 1 en attente ».
Bref, nous savons qu’une femme n’a pas toute la vie pour faire des enfants, mais ce n’est pas la peine d’en rajouter, Merci.
4e Gifle : Tu grossis donc tu es enceinte
Bien sûr, et c’est même évident (à leurs yeux) qu’après ton mariage, si tu prends du poids rek, ça y est, t’es enceinte. Gaffe à toi si tu réponds que non, tu n’es pas enceinte mais que c’est juste une prise de poids, ndakh khel bou dal (car tu n’es pas stressée). « Bayil pilules yi ngay nane molay may yaram (Arrête de prendre des pilules contraceptives car c’est ce qui te fait grossir) ».
Pardon, c’est quoi le débat ? : Est-ce que toi et ton mari faites l’amour régulièrement sans moyens de contraception et à tes jours d’ovulation, wala est-ce que tu prends bien soin de garder tes jambes en l’air après l’éjaculation du mari. C’est ça ?
5e gifle : « Khamna Serigne bou meun niane (Je connais un bon marabout) »
Après tout, il faudrait bien qu’ils se montrent compatissants histoire de faire genre : Yalla nala yalla may doom (Que Dieu te donne des enfants), alors que c’est juste pour savoir si tu es malade ou si c’est un choix personnel. Les plus téméraires te diront :
« Khamna serigne bou meun niane. Si tu veux, je te le présente pour qu’il prie pour toi et te donne des potions pour te laver. Tu sais deuk bi dafa doy war (Les gens sont sournois) ».
D’accord, niane dou doye (On n’a jamais assez de prières), mais laisse la faire ses propres prières et jusqu’à preuve du contraire, elle n’est pas encore diagnostiquée S-T-E-R-I-L-E. Merci bien.
6e gifle : Cachez-moi ce ventre que je ne peux voir !
Tu penses qu’au bureau, tu auras au moins ce moment de répit et qu’il n’y en aura plus. Eh bien, il y en a encore ! Et ce sera sans compter sur le ventre #m’as-tu_vu_me_voilà de Oulèye, ta voisine de bureau, ou de Mr QUE_TU_NE_SUPPORTES_PAS qui te dit : « Ah yala nala Oulèye gaw wale way (Ah j’espère qu’Oulèye te contaminera bientôt) ».
Ah oui, j’ai failli aussi oublier l’affiche à la cafétéria ou le mail des ressources humaines :
« Bonjour, Nous sommes heureux de vous apprendre la naissance, ce jeudi 01 Septembre, de la fille de notre collaboratrice, Marième. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement et une longue vie au bébé ».
PAUSE, mais Marième s’est mariée en Décembre de l’année dernière, rek, soit deux ans après mon mariage et neuf mois rek après le sien ! Tiey Yalla (oh mon Dieu)
7e gifle qui t’emmène chez Ardo* : Mr prend une deuxième femme
Ça y est, après de multiples rendez-vous chez les spécialistes, le verdict tombe : Mr est en bonne santé mais Mme doit faire des traitements pour tomber enceinte. Tout est pressé donc ton gynécologue te propose une Procréation Médicalement Assistée (PMA), mais loin de toi l’idée de faire un « bébé éprouvette » ou « bébé laboratoire », c’est hors de question ! Alors sous la pression de la société et bien sûr de la belle-mère, tu sais, borom : « Ay waay Khady andil nama seut waaye (Oh Khady m’a donné un petit-fils) », Mr décide de prendre une seconde épouse qui tombera enceinte neuf mois après le mariage : big nguenté (grand baptême).
Même Alpha, le boutiquier du quartier, se permet de te laisser entendre que tu es cataloguée de femme « Diassir (Stérile) ». Warou nga ci yalla (Tu es au bout de ta vie)
En voilà des gifles que t’inflige cette société sénégalaise parce qu’elle ne sait pas à quelle case correspond ta situation dans son tableau idyllique d’un mariage réussi. Suffit-il d’avoir des enfants pour réussir son mariage ?
Entre Espoir, Doute et Foi en Dieu
Pour calmer la douleur, tu seras accro aux comprimés Ibupromougn prescrits pour une durée indéterminée, mais en bonne croyante, tu t’en remettras à la volonté divine. Oui, Dieu t’a donné tout ce que tu voulais dans ta vie jusqu’à présent (bonne santé, diplômes, travail, mari, bonnes conditions de vie) ? Sais-tu ce qu’il te réserve de mieux ?
Qui n’a jamais entendu parler de ce couple marié depuis dix ans avant leur premier bébé ou de cette femme mariée/divorcée deux fois à cause du fait qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants et qui tombe enfin enceinte à son troisième mariage ? Et puis, souhaites-tu vraiment être mère d’un enfant qui naît avec un handicap à vie ou d’un futur Hitler ? Qu’est-ce qui te dit que cette première grossesse que cette société t’impose tant arrivera à terme ou même que cet enfant connaîtra sa maman ?
Nit day mandou Sénégalais moko dak wakh, mais sénégalais mandou woul (Les Sénégalais sont les premiers à dire qu’une personne doit avoir un peu de retenue, mais eux-mêmes n’ont pas un atome de retenue). À chaque fois qu’ils posent cette question anodine : « Loy khar pour am doom (Qu’est-ce que vous attendez) », ils risquent de te mettre profondément mal à l’aise et de t’obliger à déballer des situations complexes : je suis stérile, j’essaie de faire un enfant depuis ce temps, je ne fais que des fausses couches ou je ne veux pas en avoir.
Oui, la science a aujourd’hui assez avancé pour aider les couples désirant avoir des enfants, mais encore une fois, est-ce l’essence même du mariage ? Oui, on peut définir le mariage comme le fait de fonder une famille, mais ne peut-on pas la former à deux ? C’est vrai, certains diront « Doom khorom laci (Les enfants apportent le petit plus) », mais et après ?
* Ardo : célèbre médecin du milieu de la lutte sénégalaise